Didon et Enée revisited

OPERA NATIONAL DE BORDEAUX - FÉVRIER 2023

"Didon et Enée revisited" est la création de la première promotion de l'Académie de l'opéra de Bordeaux regroupant de jeunes artistes en émergence sélectionnés pour être accueillis en résidence pendant un an par l’Opéra National de Bordeaux et par plusieurs partenaires en vue de mettre en œuvre un projet créatif autour d’un grand opéra du répertoire. 

Haru Shionoya signe un arrangement de l'opéra de Purcell pour quatre solistes et cinq instrumentistes concentrant le propos musical sur les personnages principaux : Didon, Belinda, Enée et la Sorcière, et confiant la partie du continuo au bandonéon pour donner des couleurs et des expressions tout à fait inhabituelles à la partition.

La mise en scène de Louise Brun intègre les instrumentistes au plateau, "pour faire de la musique une partie intégrante de son récit" (O.Delaunay pour Olyrix). Travaillant dans une temporalité différente des productions d'opéra habituelles, la scénographie, les costumes et les lumières ont été à définir au fur et à mesure des répétitions. Avec son collaborateur Théo Phélippeau (scénographe), Louise Brun a adopté une démarche "zéro achat" et éco-responsable, sans matériel neuf pour les décors, costumes et accessoires, et en travaillant sur l'écoute et la cohésion du plateau, les jeunes artistes assurant les représentations sans chef d'orchestre.

Note d'intention

Ce qui a retenu mon attention dans l’histoire de Didon et Énée, c’est leur passé respectif. Tous les deux errants, fuyant des situations de violence et de guerre, ils se retrouvent l’espace d’un court instant autour d’une relation en miroir, d’un amour sublimé. Mais aucun n’a la capacité d’aimer étant donné ses propres blessures. Énée, le héros troyen, aspire à retourner au monde, quand Didon, tourmentée par la peur et le doute, veut s’en extraire. Dans la mythologie, Didon, avant d'être la reine bâtisseuse, est avant tout une résiliente. Après avoir été mariée à son oncle dont l’assassinat l’oblige à fuir par la mer, elle accoste en Lybie où les rois numides, auxquels elle se refuse, lui ont concédé un morceau de terre de la taille d’une peau de bœuf. C’est cette figure de reine d’un territoire aride et archaïque, d’un no man’s land au sens propre du terme puisqu’elle y est entourée de femmes -les instrumentistes incarnent cette communauté-, qui m’a touchée. Deidô, chez les Libyens, signifie «l’errante». Pour Énée aussi, l’histoire raconte l’épopée d’un homme seul, recraché par la mer, appelé sans cesse vers un ailleurs.

 

Ils représentent donc tous deux des figures d’exilés, de réfugiés. Un statut que nul ne revendique, et qui pourtant devient une identité pour les personnes qui connaissent l’arrachement, l’errance en mer, la nécessité de se reconstruire, l’humiliation de devoir mendier à autrui le droit d’exister à nouveau. L’intemporalité de cette question au vu de la situation géographique de l’œuvre, et le passé des protagonistes, se prêtait au dénuement d’un camp. Mais pas un camp de réfugiés qui raconterait la violence, la misère et l’avilissement du quotidien. Plutôt un camp refuge, un endroit reculé du monde, une quête de reconstruction. Quant aux instrumentistes, « doubles » des héros, ils sont une promesse de vie. Vivant à leurs côtés dans cette communauté de fortune, croisant leurs destins brisés, surmontant les différences et les difficultés, ils symbolisent une forme de foi en la beauté des petites choses, et en la capacité faire, ensemble, société.

Enfin, il nous reste à traiter le personnage de la "Sorcière", qui prend dans l'arrangement une dimension particulière puisqu'elle chante de nombreux rôles, aux couleurs et tempéraments très différents. La partition prêtant tour à tour la Magicienne, les sorcières, l’Esprit et le Marin à une même interprète, le personnage prend des dimensions de Furie, au sens mythologique. On peut ainsi la voir comme le fatum, le destin implacable. - Louise Brun

 

@Pierre Planchenault

Distribution

MISE EN SCÈNE ET COSTUMES    Louise Brun

SCÉNOGRAPHIE ET LUMIÈRES     Théo Phélippeau

ARRANGEMENT MUSICAL          Haru Shionoya

DIDON                        Amandine Portelli

ÉNÉE                         Eduard Ferenczi-Gurban

BELINDA.                     Marie Lombard

LA SORCIÈRE                  Aviva Manenti

BANDONÉON                    Louise Jallu

CLARINETTE                   Clara Lighezzolo

FLÛTE                        Julija Bojarinaite

VIOLON                       Alissa Oboronova

VIOLONCELLE                  Garance Buretey Tiprez

 

Informations complémentaires